Publié le 15 mai 2024

Contrairement à l’idée reçue, la transition énergétique au Canada ne signifie pas la fin du forage, mais sa réinvention stratégique pour débloquer les énergies du futur.

  • Les puits et données du secteur pétrolier sont des tremplins économiques majeurs pour le développement de la géothermie.
  • Les grands bassins sédimentaires ne sont pas de simples gisements, mais des écosystèmes de ressources superposées (gaz, lithium, chaleur, stockage CO2).
  • L’expertise en forage de précision est la compétence la plus précieuse et directement transférable pour l’extraction de lithium et l’exploration d’hydrogène naturel.

Recommandation : Les stratèges doivent adopter une vision holistique pour évaluer le potentiel superposé des actifs géologiques existants, transformant les passifs d’hier en opportunités énergétiques de demain.

Le Canada se trouve à un carrefour énergétique fascinant. D’un côté, une histoire riche et une économie bâtie sur l’exploitation des hydrocarbures. De l’autre, une pression croissante et une volonté politique de pivoter vers un avenir bas carbone. Pour beaucoup, la voie semble tracée : il faudrait abandonner les infrastructures et les compétences du passé pour embrasser exclusivement les énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien. Cette vision, bien que populaire, néglige la richesse la plus fondamentale et la plus unique du pays : son sous-sol extraordinairement diversifié.

Et si la véritable clé de la transition énergétique canadienne ne se trouvait pas dans une rupture, mais dans une continuité intelligente ? Si l’expertise, les données et les infrastructures accumulées pendant un siècle de forage pétrolier et gazier n’étaient pas un fardeau à mettre au rebut, mais plutôt le plus puissant des accélérateurs pour débloquer les énergies de demain ? C’est le pari de la synergie souterraine : considérer le sous-sol non plus comme une collection de gisements distincts, mais comme un écosystème énergétique superposé où la géothermie, l’hydrogène naturel et le lithium peuvent être découverts et exploités grâce aux outils du monde d’hier.

Cet article s’adresse aux explorateurs, aux géologues et aux investisseurs qui voient au-delà des silos traditionnels. Nous allons cartographier ce trésor aux mille facettes, en démontrant comment les compétences en forage deviennent une passerelle vers de nouvelles frontières et comment les anciens puits se transforment en portails vers la prochaine révolution énergétique.

Ce guide vous emmènera des bassins sédimentaires de l’Ouest aux formations rocheuses du Bouclier canadien pour explorer les opportunités concrètes qui redéfinissent la carte énergétique du pays. Le sommaire ci-dessous vous donnera un aperçu des trésors que nous allons déterrer ensemble.

La richesse du sous-sol canadien : un cadeau empoisonné pour les ingénieurs de forage ?

Le paysage de l’Ouest canadien est parsemé de centaines de milliers de puits de pétrole et de gaz, dont beaucoup sont en fin de vie ou abandonnés. À première vue, ils représentent un passif environnemental et un défi économique considérable. Cependant, pour l’explorateur visionnaire, ce « cadeau empoisonné » est en réalité une mine d’or. Chaque puits est une porte d’entrée déjà creusée vers la chaleur de la Terre, une ressource énergétique stable et non intermittente : la géothermie.

Le principal obstacle au développement de l’énergie géothermique a toujours été le coût initial exorbitant du forage. Or, en réutilisant les puits existants, cet obstacle s’effondre. Des études indiquent que cette approche permet une réduction de 40 à 60 % des coûts de forage, transformant radicalement l’équation économique. Les données sismiques, les diagraphies de puits et les carottes de forage collectées par l’industrie pétrolière fournissent une connaissance intime et inestimable des formations souterraines, réduisant drastiquement le risque d’exploration.

Le projet DEEP Earth Energy Production en Saskatchewan en est l’exemple parfait. Loin des zones volcaniques traditionnelles, l’entreprise exploite la chaleur d’un aquifère salin à trois kilomètres de profondeur, une ressource identifiée grâce à des décennies d’exploration pétrolière. Ce projet pionnier prouve que le potentiel géothermique du Canada n’est pas confiné à la Colombie-Britannique, mais qu’il sommeille juste sous les pieds des régions qui ont alimenté le pays en énergie fossile.

Le trésor caché des bassins sédimentaires canadiens : qui renferme quoi et où ?

L’idée de réutiliser un puits pour la géothermie n’est que la première couche d’une stratégie beaucoup plus profonde. Le véritable changement de paradigme consiste à cesser de penser en termes de gisement unique pour adopter une vision d’écosystème énergétique superposé. Les grands bassins sédimentaires, comme le Bassin Sédimentaire de l’Ouest Canadien (BSOC), ne sont pas seulement des éponges à pétrole et à gaz ; ce sont des structures géologiques complexes abritant une multitude de ressources à différentes profondeurs.

Imaginez une carte au trésor en trois dimensions. Une même zone peut contenir du gaz naturel dans des formations peu profondes, des saumures riches en lithium dans des aquifères intermédiaires, un potentiel géothermique significatif dans les couches plus profondes, et des réservoirs déplétés parfaits pour le captage et le stockage du carbone (CSC). Le nord-est de la Colombie-Britannique illustre cette polyvalence, où le Northeast BC CCS Atlas estime une capacité de stockage de 4,2 gigatonnes de CO2, souvent dans les mêmes zones que celles explorées pour le gaz.

Cette superposition de potentiels est l’atout maître du Canada. L’exploration ne se résume plus à « trouver du pétrole », mais à « cartographier l’intégralité du potentiel d’un volume géologique ». Pour le stratège, cela signifie évaluer chaque opportunité de forage non pas pour une seule ressource, mais pour l’ensemble des flux de revenus qu’elle pourrait générer sur plusieurs décennies.

Plan d’action pour évaluer un actif géologique superposé

  1. Cartographie des ressources : Analyser les données existantes (sismiques, diagraphies) pour identifier le potentiel à chaque niveau : hydrocarbures, saumures (lithium, brome), chaleur (géothermie), et formations poreuses (stockage CO2, hélium).
  2. Analyse des saumures : Prélever et analyser des échantillons d’eau de formation pour quantifier la concentration en minéraux critiques comme le lithium.
  3. Modélisation du gradient thermique : Utiliser les données de température des puits pour évaluer le potentiel géothermique à différentes profondeurs.
  4. Évaluation de la capacité de stockage : Modéliser la porosité et la perméabilité des réservoirs déplétés pour déterminer leur aptitude au stockage sécurisé de CO2.
  5. Scénarios économiques intégrés : Construire un modèle d’affaires qui combine les revenus potentiels de l’extraction de multiples ressources à partir d’une même infrastructure de surface.

À la recherche de l’hydrogène blanc : où sont les zones les plus prometteuses du sous-sol canadien ?

Parmi les nouvelles frontières énergétiques, l’une des plus excitantes est sans doute celle de l’hydrogène naturel, aussi appelé « hydrogène blanc » ou « doré ». Contrairement à l’hydrogène vert (produit par électrolyse) ou gris (produit à partir de gaz naturel), l’hydrogène blanc est naturellement présent dans le sous-sol, prêt à être extrait. C’est le Graal énergétique : une source d’énergie propre qui ne nécessite pas de processus de fabrication énergivore. Et le Canada, avec sa géologie ancienne et complexe, pourrait en être un réservoir mondial.

L’exploration de l’hydrogène naturel en est à ses balbutiements, mais les premiers indices sont extrêmement prometteurs. Les zones les plus favorables sont les cratons anciens et les massifs rocheux riches en fer, où des réactions naturelles entre l’eau et la roche (serpentinisation) peuvent générer de l’hydrogène en continu. Le Bouclier canadien, qui couvre une immense partie du pays, est un candidat de premier ordre. Récemment, une découverte historique au Témiscamingue a révélé des concentrations inégalées, confirmant le potentiel exceptionnel des formations géologiques canadiennes.

Géologues analysant des échantillons de roche sur le Bouclier canadien avec équipement scientifique portable

Comme le montre cette image, l’exploration de l’hydrogène blanc combine des techniques géologiques classiques à des technologies de détection de gaz de pointe. Les compétences en modélisation des systèmes pétroliers, en géochimie et en forage en milieu complexe sont directement applicables. Les géologues formés à traquer les pièges à hydrocarbures sont parfaitement équipés pour identifier les structures géologiques capables de piéger cet hydrogène, beaucoup plus léger et fugace. Le Canada se positionne ainsi comme un laboratoire à ciel ouvert pour cette quête passionnante.

Potentiel géothermique : les Rocheuses peuvent-elles rivaliser avec les volcans de la côte Ouest ?

Quand on parle de géothermie au Canada, l’attention se porte souvent sur les zones volcaniques actives de la Colombie-Britannique, comme le complexe du mont Meager. Avec des températures très élevées à faible profondeur, ce potentiel est indéniable mais s’accompagne de défis majeurs : un terrain difficile d’accès, une infrastructure limitée et des coûts de développement astronomiques. Cependant, le vrai géant endormi de la géothermie canadienne pourrait bien se trouver à l’est, dans les bassins sédimentaires des Rocheuses.

La question n’est pas tant de savoir qui a la température la plus élevée, mais qui présente le meilleur modèle d’affaires. L’Alberta et la Saskatchewan n’ont pas de volcans, mais elles possèdent deux atouts stratégiques que la côte Ouest n’a pas : une infrastructure de forage massivement développée et des décennies de données géologiques. La chaleur y est moins intense qu’au pied d’un volcan, mais elle est plus accessible et économiquement viable grâce à la réutilisation des connaissances et des actifs existants. En 2024, l’Alberta a généré 7,5 GWh d’électricité géothermique, un chiffre modeste mais qui marque le début d’une nouvelle ère.

La comparaison suivante, basée sur les données de la Régie de l’énergie du Canada, met en lumière ces différences stratégiques.

Comparaison du potentiel géothermique Alberta vs Colombie-Britannique
Critère Alberta (Bassins sédimentaires) C.-B. (Mont Meager)
Température 120-150°C >200°C
Profondeur 2,5-3 km 1-2 km
Infrastructure existante Milliers de puits réutilisables Limitée
Investissement requis Modéré (45M$ DEEP) Très élevé

Ce tableau montre clairement que si la Colombie-Britannique offre une ressource de plus haute température, l’Alberta présente un chemin beaucoup plus rapide et moins coûteux vers la commercialisation. Pour les investisseurs, le choix n’est pas seulement géologique, il est avant tout économique. Les bassins sédimentaires des Rocheuses ne cherchent pas à « rivaliser » avec les volcans sur la température, ils proposent un modèle de développement entièrement différent, basé sur l’optimisation et la synergie.

La géothermie profonde : la prochaine révolution énergétique est-elle enfouie sous nos pieds ?

Le potentiel de la géothermie profonde ne se limite pas au Canada ; c’est une tendance mondiale qui attire des investissements massifs. La géothermie offre en effet un avantage unique sur les autres énergies renouvelables : elle n’est pas intermittente. Elle produit de l’électricité 24h/24, 7j/7, ce qui en fait une source d’énergie de base idéale pour stabiliser les réseaux électriques de plus en plus dépendants du solaire et de l’éolien. Cette fiabilité attire l’attention des investisseurs qui cherchent à décarboner le mix énergétique tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement.

La confiance dans ce secteur est en pleine croissance, comme en témoigne l’explosion des financements. Selon de récentes analyses, les investissements en géothermie ont atteint 1,7 milliard de dollars américains rien qu’au premier trimestre 2025, une hausse de 85% par rapport à l’année précédente. Cette vague de capitaux est tirée par de nouvelles technologies de forage (systèmes en boucle fermée, stimulation géothermique avancée) qui permettent d’accéder à la chaleur dans des contextes géologiques jusqu’alors jugés non conventionnels, bien au-delà des zones volcaniques.

Le Canada, avec son savoir-faire en forage de pointe, est idéalement positionné pour capter une part de cette croissance. Cependant, le pays part de loin. Malgré son potentiel immense, le développement a été lent, freiné par des cadres réglementaires initialement conçus pour le pétrole et le gaz. Les projets pionniers comme DEEP en Saskatchewan ou le projet de Razor Energy en Alberta sont donc cruciaux : ils servent de vitrine technologique et réglementaire pour paver la voie à une adoption à plus grande échelle. Comme le résume une experte du secteur, le chemin est encore long mais la dynamique est enclenchée.

Nous sommes des décennies en retard, mais ces projets phares sont les premiers d’une longue série

– Alison Thompson, Présidente de l’Association canadienne d’énergie géothermique (CanGEA)

Du forage pétrolier au forage minier : comment les compétences peuvent-elles être transférées vers l’exploration des minéraux pour batteries ?

La synergie entre l’ancien et le nouveau monde énergétique trouve son expression la plus spectaculaire dans l’extraction du lithium. Ce métal, indispensable aux batteries des véhicules électriques et au stockage d’énergie, est au cœur de la transition. Traditionnellement, il est extrait de mines de roche dure (spodumène) ou de bassins d’évaporation de saumure, deux méthodes à l’empreinte environnementale considérable. Mais une troisième voie émerge, directement issue du monde pétrolier : l’extraction directe du lithium (DLE) à partir des saumures profondes contenues dans les aquifères pétroliers.

L’Alberta, encore une fois, est à l’avant-garde. Des décennies de forage ont permis de cartographier précisément les aquifères comme la formation de Leduc, et les analyses d’eau de formation ont révélé qu’ils étaient riches en lithium dissous. La compétence clé ici n’est pas minière, mais pétrolière : il s’agit de forer, de pomper un fluide (la saumure), de le traiter en surface, puis de le réinjecter. C’est exactement ce que l’industrie pétrolière et gazière fait depuis un siècle.

L’entreprise E3 Lithium est un cas d’école. Fondée par des vétérans de l’industrie pétrolière, elle a développé une technologie DLE qui agit comme un « filtre à lithium », séparant le métal précieux de la saumure avant de la réinjecter dans le sol. Ce processus, beaucoup plus rapide et écologique que les méthodes traditionnelles, s’appuie entièrement sur l’expertise du forage de précision, de la gestion des réservoirs et de la manipulation des fluides. C’est un transfert de compétences quasi parfait. La connaissance du sous-sol acquise pour les hydrocarbures sert directement à extraire les minéraux de la transition énergétique.

« Il n’y a plus rien à trouver » : le mythe qui freine l’exploration de nouvelles frontières pétrolières au Canada

Dans l’enthousiasme pour les nouvelles énergies, un mythe tenace s’est installé : celui que l’exploration pétrolière et gazière serait terminée, que tous les grands gisements auraient été découverts. Cette idée, en plus d’être fausse, est dangereuse car elle ignore les avancées technologiques spectaculaires qui continuent de redéfinir les frontières de l’exploration conventionnelle. Le sous-sol canadien recèle encore un potentiel significatif, souvent dans des zones considérées comme matures.

Les technologies d’imagerie sismique 4D (3D + le temps) permettent aujourd’hui aux géologues de « voir » l’évolution des réservoirs en production avec une précision inimaginable il y a vingt ans. Elles révèlent des poches d’hydrocarbures non drainées, de nouvelles structures géologiques passées inaperçues, et optimisent le placement des puits de développement pour maximiser la récupération. Loin d’être un jeu de hasard, l’exploration moderne est une science de la donnée, où l’intelligence artificielle et le « machine learning » analysent des pétaoctets de données sismiques pour identifier des opportunités que l’œil humain ne pourrait déceler.

La preuve que ce potentiel est bien réel est que les plus grandes compagnies continuent d’investir massivement. Au large de Terre-Neuve, dans le bassin Jeanne d’Arc, une zone pourtant exploitée depuis des décennies, ExxonMobil a récemment engagé 165 millions de dollars dans de nouveaux travaux d’exploration. Cet investissement ne témoigne pas d’un optimisme aveugle, mais d’une confiance basée sur des modèles géologiques affinés par les dernières technologies. Le Canada, tant sur ses côtes qu’à l’intérieur des terres, possède encore des zones sous-explorées dont le potentiel ne demande qu’à être réévalué avec les outils d’aujourd’hui.

À retenir

  • La réutilisation des puits de pétrole et de gaz pour la géothermie est un levier économique majeur, réduisant les coûts de forage de 40 à 60 %.
  • Les bassins sédimentaires canadiens doivent être vus comme des écosystèmes multi-ressources superposées, offrant des opportunités simultanées en gaz, lithium, chaleur et stockage de carbone.
  • L’expertise canadienne en forage de précision est la compétence la plus précieuse et directement transférable pour débloquer les nouvelles filières énergétiques comme le lithium DLE et l’hydrogène naturel.

Extraction des ressources énergétiques souterraines : vers une vision intégrée

L’exploration du sous-sol canadien n’est plus un jeu à somme nulle opposant les énergies fossiles aux énergies vertes. C’est devenu un exercice de vision intégrée, où chaque ressource et chaque compétence peut jouer un rôle dans un écosystème énergétique plus large et plus résilient. Les exemples du lithium, de la géothermie et de l’hydrogène naturel le prouvent : l’avenir de l’énergie au Canada se construira sur les fondations du passé.

Cette approche intégrée est non seulement plus intelligente sur le plan stratégique, mais aussi sur le plan environnemental. L’extraction directe du lithium, par exemple, offre une alternative beaucoup moins dommageable que les méthodes traditionnelles, comme le montre la comparaison ci-dessous.

Méthodes d’extraction du lithium : conventionnelle vs directe
Critère Évaporation (conventionnelle) Extraction directe (Saskatchewan)
Empreinte au sol Bassins étendus Minimale
Consommation d’eau Élevée Faible (réinjection)
Durée du processus 12-18 mois Heures/jours
Impact environnemental Important Réduit

En adoptant cette vision, le Canada peut non seulement accélérer sa propre transition énergétique, mais aussi devenir un leader mondial dans l’art de la synergie souterraine. Les géologues et les investisseurs qui sauront lire cette nouvelle carte au trésor, identifier les potentiels superposés et faire le pont entre les mondes du forage seront les véritables architectes de l’avenir énergétique du pays.

Pour les géologues d’exploration, les investisseurs et les stratèges, l’heure n’est plus à la spécialisation étroite mais à la polyvalence. L’étape suivante consiste à évaluer vos actifs et vos zones d’intérêt à travers ce prisme de l’écosystème superposé pour identifier les opportunités cachées que vos concurrents ignorent encore.

Rédigé par Isabelle Lavoie, Isabelle Lavoie est une géologue d'exploration possédant 15 ans d'expérience dans la caractérisation des bassins sédimentaires canadiens. Elle est une experte reconnue des gisements complexes, qu'ils soient conventionnels ou non conventionnels.